Article paru dans LE POINT Par Jacques Chevalier Publié le 26/03/2024

Irréparable, l’électrique relance l’idée de la voiture à jeter

Vendre une voiture – dans l’idéal sur Internet sans contact avec le client – semble être devenu le Graal des nouveaux constructeurs, fascinés par le modèle innovant de Tesla. Distribuer les voitures comme des petits pains et ne plus s’en soucier ensuite est une logique engagée par le constructeur américain, très novateur dans son modèle marketing. Celui-ci expose que le moteur électrique est beaucoup plus simple et fiable qu’un moteur thermique et qu’il ne nécessite aucun entretien. L’essor du marché électrique s’est construit en partie sur ce critère qui est en partie vérifié, une perspective peu engageante pour les réseaux des constructeurs traditionnels qui pâtissent déjà de la baisse de fréquentation des ateliers due à la fiabilité croissante des modèles thermiques.

Mais si la voiture électrique peut compter sur son ou ses moteurs, se passer de révisions périodiques et, le plus souvent, de boîte de vitesses, elle est constituée d’autres éléments traditionnels (châssis, suspensions, freins, etc.) qui s’usent plus que les autres en raison du poids plus élevé du véhicule. Et, origine de ce surpoids, d’une batterie encombrante et fragile, exposée aux aléas de la route et difficile,; voire impossible à réparer.

Même si Renault vient de se doter d’ateliers spécialisés dans la remise en état des cellules, celle-ci relève plus de la maintenance que d’une restauration complète. Cette dernière, qui ferait suite à des dégâts accidentels dus à une collision, une perforation ou une percussion sur le soubassement laisse toute la chaîne d’intervention désemparée. Depuis le réparateur ou les services de secours jusqu’à l’atelier, en passant par l’expert des assurances, c’est le flou le plus complet.

Et elle a un coût conséquent sur lequel la filière de réparation est peu prolixe. Les assureurs eux-mêmes, confrontés à l’explosion des coûts de réparation et, par conséquent, tôt ou tard des primes, sont peu diserts. Une indication intéressante pourtant a été fournie par une étude américaine récente (novembre 2023) qui a comparé un Hyundai Kona, un sujet très intéressant car disponible en version tout électrique et en version thermique et fabriqué par un constructeur qui maîtrise fort bien son sujet.

Le poids mort de la batterie

Si la version traditionnelle a des coûts d’entretien plus élevés avec les consommables (vidanges, filtres, plaquettes, dépollution etc.), sa réparation est beaucoup plus facile et accessible à tout bon mécanicien. Ce n’est pas du tout le cas d’une électrique, dont le coût de réparation est 29 % plus élevé dans le cas du Hyundai Kona étudié. L’explication avancée tient dans le coût des pièces de 48 % supérieur à celui du Kona thermique.

Pour sortir cette évaluation, Solera, la société texane à l’initiative de cette étude, a rassemblé 92 000 dossiers de réparations réalisées entre janvier 2021 et août 2023 dans une vingtaine de pays différents. Matt Moore, vice-président du Highway Loss Data Institute (HLDI), précise avoir ajusté les données recueillies en fonction du kilométrage de chaque voiture. Si les accidents de voitures électriques sont moins fréquents, ils entraînent plus de dégâts en raison de la masse très supérieure. « C’est physique, plus le véhicule est lourd, plus il y a de force lors des collisions et donc plus de dégâts », dit Matt Moore, ce qui explique que davantage d’airbags soient remplacés.

Un très mauvais indicateur pour les assureurs, car le déclenchement d’airbag est la cote d’alerte des constructeurs. Un airbag déployé et le constructeur ne garantit plus l’efficience et la fiabilité de sa batterie. Puisqu’il est quasi impossible d’évaluer après un sinistre l’état d’une batterie, l’expert des assurances, dans le doute, déclarera le pack de cellules irréparable car égalant ou dépassant la valeur du véhicule. Ce qui fait qu’une voiture d’apparence peu accidentée sera à jeter à la casse en raison du coût exhortant de la réparation.

Le problème est devenu si crucial que notre confrère allemand Automobilwoche rapporte qu’un grand nombre de compagnies s’émeuvent de la mauvaise réparabilité des voitures électriques. Et pour cause puisque les ateliers capables de les remettre en état sont très rares vu les risques liés aux réseaux haute tension, difficiles à déjouer. Les assureurs menacent désormais de sanctionner par des primes beaucoup plus lourdes la désinvolture de ces marques, qui oublient un peu vite que la vie d’un modèle commence dès l’instant où il prend la route.